Space MLB l Pr©d MLB
Territoires de L' Image
Valérie Blache l Neuropsychologue
"Une personne atteinte de troubles neurocognitifs, reste un sujet désirant, curieux, plus que jamais à la recherche de sens, de compréhension, de moyens d’expression, de création de lien avec l’autre et avec lui-même, malgré, et avec ses troubles cognitifs et de la communication."
EHPAD, Unité Protégée
Book l Livre l Rencontres en Amnésie
Photographie l Marie L Borgia
Préface l Christian Gattinoni
Textes Paroles de Résidents l Marie L Borgia
128 pages l Relié l couverture cartonnée l 108 photographies couleur et bichromie l Français l Anglais
Fabien Ribery l Rencontres en Amnésie
Qui devient-on lorsque nous ne nous reconnaissons plus et que la perte de mémoire nous gagne ? Où est-on lorsque nous égarons les mots, les formes des visages aimés, les gestes d’une vie ? Comment résister à la force d’un trou noir avalant sur son passage et nos proches et nous-même ?
Les personnes atteintes de maladies neurodégénératives, souffrant essentiellement de la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson, connaissent cette arrivée progressive ou brusque dans l’inconnaissable, par l’oubli de leurs capacités ordinaires.
A l’EHPAD la Résidence de La Tour, dans la Drôme, la photographe Marie L Borgia, invitée comme art thérapeute, a amené les participants de ses ateliers à se questionner sur les images de leur vie, sur leur histoire, sur leur famille, « en complémentarité de la sollicitation cérébrale menée par les équipes professionnelles ».
Construit comme un objet de haute densité humaine et poétique, un livre très beau, de grande pudeur, célébrant les résidents comme les équipes de soin, témoigne de cette aventure en commun au pays du trouble dans la mémoire.
Il s’intitule Rencontres en Amnésie, comme on voyage en terre Adélie dans le froid du climat et la chaleur de la fraternité des équipes d’exploration, soudées par le même objectif,
ici de parer les avalanches, et le retentissement du glas.
Dans les images de Marie L Borgia, il y a du partage, du temps donné, reçu, échangé, de l’écoute et beaucoup d’attention envers l’infime.
Considérer la photographie comme un amer dans la tempête : cette personne, là, la reconnaissez-vous ?
La matière est celle du parchemin des mains, mais aussi du jeu de la superposition des scènes, des moments, des transparences, comme une façon de négocier avec les fantômes, de les apprivoiser, et d’accepter d’entrer sans peur dans le moment flottant.
Des résidents ? Avant tout des femmes et des hommes à la vie riche, complexe, belle et terrible, comme chacun.
« Pour faire leur digne portrait d’aujourd’hui, écrit Christian Gattinoni avec beaucoup de sensibilité dans son texte introductif, Marie L Borgia a choisi des images comme brûlées de lumière intérieure, surexposées par les omissions, elle en produit des tirages d’un gris léger comme l’inadvertance. »
Travailler dans le flou, le tremblement, dans l’intervalle se creusant ou s’amenuisant entre personnalité et personne.
" Quelle heure est-il depuis hier ? Pourquoi personne ne vient me chercher ? J’ai photo ? Tiens, il s’est arrêté de pleuvoir.
Ici, dans la classe, c’est moi, je crois. " A quoi sert cette clé ? "
Ouvrir les vieux albums, faire de la cartomancie avec les médaillons de toute une vie, dans la grande brassée des temps et des visages. Marie L Borgia photographie en couleur des objets, des pans de tableaux, un rouge à lèvres, des mains hors d’âge, avant que le noir et blanc des visages et des fragments de corps ne vienne inquiéter le regard, ou le désorienter. Car nous sommes au pays de l’impossible, de la perte de l’identité, et de l’effort insensé pour que l’autre ne sombre pas totalement. Un drap de lit blanc s’arrachant de la profondeur du noir. Des yeux perdus dans les pixels du temps. Des lueurs, du bougé, des abysses. Fraternité dans l’inquiétante étrangeté. En des séquences d’images construites comme des diptyques ou des polyptiques, passe, ailes déployées, l’ange du temps, entre effroi, effarement, désespoir ( jeu avec le tableau de Gustave Courbet Le Désespéré ), et sourires de malice.
L’art comme un soin, et comme un passage.
Ultime politesse envers un processus d’involution nous effaçant bientôt de tous les miroirs.
Marie L Borgia, Rencontres en Amnésie l Textes de Christian Gattinoni & Marie L. Borgia ( Paroles de Résidents) l Traduction (anglais) Robert Mc Innes l André Frère Éditions 2019
Publié le 14 09 2019 par Fabien Ribery
sur LINTERVALLE BLOG
Photographic Video l Rencontres en Amnésie
Photographic Video l Directed by Marie L Borgia
l Montage : Corentin Legall l Son : Laurie Anderson
Diffusion l Biennale d’Issy 2019
Portraits Contemporains Selfies de l’Âme?
Présence(s) Photographie 2021
Préface Rencontres en amnésie l Par Christian Gattinoni
De la résistance des visages
« Frapper du regard, c’est se dessiner dans les yeux des autres, y découvrir leurs traits modifiés auprès des nôtres, mais pour ombrer notre ceinture de déserts. » René Char, Le Nu perdu.
Rares sont les œuvres qui vous poussent dans vos retranchements les plus intimes, vous obligent à faire front de toutes vos ruses de vivre, vous amènent à l’écrit comme dernier recours, vous condamnant à une écriture de l’urgence. Pour l’affronter, vous devez vous trouver fissa des alliés, il faut les chercher du côté de vos racines, il y va de vos ascendants, de vos maîtres du côté de la poésie ou de l’art.
Avant d’entamer ce texte, il m’a fallu longuement et à maintes reprises parcourir la maquette, une telle matière étant trop sérieuse, on ne peut la garder pour soi. J’ai profité d’un workshop franco-allemand sur la mémoire de la Shoah en région Centre pour la partager avec des collégiens et des lycéens. Questions de générations à trancher par transmission. Car si l’ensemble d’images ici réunies convoque tant de choses humaines, c’est que c’est d’abord un formidable exercice des potentiels de la photographie.
Il ne s’agit pourtant pas pour Marie Borgia de faire étalage technique d’érudition, dans le face à face vital qu’elle instaure, elle est la première à sentir le besoin d’armes fines, d’autant qu’elle sait ne pouvoir compter sur la seule force d’une image qui se voudrait juste.
Pour faire suite au flot d’expressions fugitives qui fulgurent sur les physionomies de ces pensionnaires hantant les contrées d’Alzheimer en EHPAD, elle doit se faire le paparazzi de leurs émotions, la chroniqueuse de leur vaine lutte contre l’oubli.
Si elle utilise des diptyques et triptyques, des mises en séquences d’images saisies à très peu d’intervalle, c’est pour ne rien perdre de ces moments de réel partage, pour prolonger le champ de ces regards qui se dérobent.
Hors champs, l’ensemble se constitue en ce que René Char énonçait comme « Une vue panoramique où l’imagination de la mort serait accordée nue et sans suffocation. »
La commande à laquelle elle répond vient de l’équipe soignante dont elle seconde l’action derrière son viseur.
Elle se situe ainsi dans une perspective de photographie sociale, s’offrant le luxe de reprendre en l’actualisant l’héritage du Mario Giacomelli des Hospices. Cette série, qu’il avait intitulée en hommage à Cesare Pavese « La mort viendra et elle aura tes yeux », supposait des vieillards conscients d’une fin de vie, qui travaillait déjà leur trogne clichée dans les profonds contrastes d’un noir et blanc.
L’ambition du projet touche ici au plus engagé de l’art thérapie, c’est au vivant sans l’amnistie du souvenir qu’elle s’adresse. Ils appartiennent en France à un peuple défaillant de près d’un million, rejoints chaque année par plus de 220 000 migrants de la pleine conscience. Bien que la maladie n’ait été sérieusement prise en compte thérapeutique qu’à la fin des années 1960, René Char semblait décrire leur destin :
« Quelques êtres ne sont ni dans la société ni dans une rêverie. Ils appartiennent à un destin isolé, à une espérance inconnue. Leurs actes apparents semblent antérieurs à la première inculpation du temps et à l’insouciance des cieux. Nul ne s’offre à les appointer. L’avenir fond devant leur regard. Ce sont les plus nobles et les plus inquiétants. »
Pour faire leur digne portrait d’aujourd’hui, Marie Borgia a choisi des images comme brûlées de lumière intérieure, surexposées par les omissions, elle en produit des tirages d’un gris léger comme l’inadvertance. Quand elle recourt à des couleurs, elles semblent un peu parcheminées à l’instar de la chair tendue tiraillant leurs mains serrées sur quelques objets d’avant-hier. Leurs traits souvent sont flous, résultante d’un bougé de la tête qui refuserait la soumission. Ils portent le masque de leur renoncement involontaire, ils offrent des faciès où le détachement trace des rides incongrues. Superposées, certaines photographies se font témoins de ces rencontres en chambre de soi à soi, de ces carambolages intimes au cadre brisé d’un miroir.
Pour bien documenter ce quotidien en suspens dans l’instant toujours renouvelé, l’artiste reste constamment dans la distance de la plus grande présence à l’autre. De ce fait, les cadrages fragmentent une tournure, un air ou une disposition, l’esquisse d’une gueule.
Le poète connaissait l’impact fatal de ces distances :
« La mort ne se trouve ni en-deçà ni au-delà. Elle est à côté, industrieuse, infime. »
Lorsque la situation est assumée dans le regard, un moment complice de l’autre, elle recule à peine pour bâtir un portrait instantané en pleine physionomie retrouvée, une personnalité vient soudain en résurgence. Une frimousse d’antan peut parfois se surimprimer à cette face qui échappe. Dans cette tâche d’aidant, elle propose à ces patients « en manque du mot » le deal d’une image mouvante d’eux. Elle enregistre les rémanences anciennes qui ne font plus sens tout en traquant la moindre mimique, « j’ai de la fuite dans les idées » reconnaissait l’un d’eux. Elle poursuit son échange avec cette femme qui tout en la regardant penche la tête vers son compagnon aux yeux clos sur ses questions informulées, René Char dénonçait ces renoncements : « Quand nous cessons de nous gravir, notre passé est cette chose immonde ou cristalline qui n’a jamais eu lieu. »
Sous le coup de ces manquements, il y a celle dont le corps se trouve violemment découpé par la lumière automnale de la fin du jour, il reste son voisin qui ne se distingue plus de son reflet dont le store strie le torse. Il y a encore celle qui ne dialogue plus qu’avec son double apparu en miroir. Il y aurait cet homme dont la main ne remontera jamais jusqu’à son visage pour l’essuyer de ses manques. Et par contre celui dont la main cherche toujours à contrer l’action, trop inquisitrice pour lui de l’appareil photo, jusqu’au poing qui se ferme pour accepter l’augure de l’image. On retrouvera cet autre homme si concentré sur son monde intérieur, que sa bouche tombe sur une lèvre abandonnée, cette dichotomie quasi clinique oblige la photographe à couper l’image en deux. Saisie dans le jeu face profil qui n’a rien ici de policier, la même concentration dans son intensité simule un presque masque mortuaire.
D’eux il ne pourrait rester à léguer qu’un vieux cliché, une gravure décrochée du mur, un coussin, une clef dont on ne connaît plus le coffre ou la porte, un étui de rouge à lèvres ou un réveil aux aiguilles arrêtées. C’était sans compter avec cette rencontre altruiste d’une photographe venue jusqu’en amnésie leur apporter des images inédites de leur aspect d’aujourd’hui.
Avec ces images construites, essentielles, elle a su donner forme à leurs ressentis, à leurs diverses émotions et finalement à la singularité de leur être.
CHRISTIAN GATTINONI
OPENEYE Magazine l Biennale d’Issy 2019
Rencontres en Amnésie l Biennale d’Issy 2019 « Portraits contemporains, selfies de l’âme? »
61 artistes investissent les salles du Musée Français de la carte à jouer d’Issy-les-Moulineaux autour de la thématique Portraits contemporains, selfies de l’âme? Inspirée d’un commentaire d’Oscar Wilde à propos du portrait de Dorian Gray: « J’ai mis trop de moi-même, là dedans. »
L’exposition se diffuse également dans la ville en OFF avec des œuvres exposées dans les médiathèques, à l’École de Formation des Barreaux de la cour d’appel de Paris ainsi que dans la ville.
Parmi les photographes exposés, Marie L Borgia, photographe et vidéaste, présente « Rencontres en Amnésie », fruit de 14 mois de travail en unité protégée auprès de patients atteints maladie neurodégénératives.
« D’eux il ne pourrait rester à léguer qu’un vieux cliché, une gravure décrochée du mur, un coussin, une clef dont on ne connait plus le coffre ou la porte, un étui de rouge à lèvres ou un réveil aux aiguilles arrêtées. C’était sans compter avec cette rencontre altruiste d’une photographe venue jusqu’en amnésie leur apporter des images inédites de leur aspect d’aujourd’hui. Avec ces images construites, essentielles, Marie L Borgia a su donner forme à leurs ressentis, à leurs diverses émotions et finalement à la singularité de leur être. »
Christian Gattinoni
Exposition du 11 septembre au 10 novembre 2019
Musée de la Carte à Jouer l Issy-les-Moulineaux
Médiathèque Centre Ville l Issy-les-Moulineaux
OPENEYE MAGAZINE